LE CORPS VITRÉ ET L'ÉCRAN

Depuis que je me suis payé un plus grand écran, mes corps flottants dansent sous un nouveau jour. À la lumière du petit ordi portable, ils se sont fait oublier, comme l'indique généralement les spécialistes quand on leur dit que l'on voit des tâches noires flotter dans l'air, une myodésopsie ou les caprices d'un corps vitré vieillissant. Maintenant ma nuque est relevée, mon dos droit; je regarde en face et les vermisseaux gélatineux suivent mon regard, s'accrochent entre les mots et les pixels jusqu'à ce que mes yeux sortent du cadre pour souffler par la fenêtre.

Il y a suffisamment d’information sur la myodésopsie sur le net pour rajouter une narration complète de mon expérience, si j'en écrit pourtant un peu, c'est surtout parce que parler du reste, de problème sociaux, d'injustice, de conditions de travail, condition humaine, de la mienne, ne doit pas partir dans les méandres abstraits d'un réflexion intellectuelle désincarnée. Mon corps au de-là de son inscription sociale, qui pour le coup serait partie dans l'éther du masculin cis blanc si j'avais pas été pédé et foutu en l'air les barrières hétéro-genrées, mon corps comme outil de travail est une réalité qui se mêlent aux systèmes dans lesquels je me défini comme artiste. Un corps qui fonctionne et ne fonctionne pas, une réalité qui conditionne ma "compétitivité", une réalité de préférence appréciée quand elle se transforme en narration et à la bonne distance symbolique d'un socle, un cartel ou un écran.