VOIR SANS MERCI



AFP dit que le recours à l'émotion esthétique est un moyen de nous raprocher d'une souffrance lointaine. Les photographies de presse évoquant la peinture sacrée - mise au tombeau, pieta...- sont des photographies dans laquelle la haute expressivité de l'émotion amène de la comapassion et "fait prendre conscience de l'ampleur du drame".
De telles affirmations nécessitent tout de même une grande prudence.
La prudence amène au geste.
Pascal Convert explicite sa démarche:"La ressemblance iconographique étrange de ces instantanés avec des scènes de déploration du Christ nous place non pas face au réemploi où la citation si souvent présent dans l'art contemporain ou la publicité, mais face à l'imitation, au sens médiéval du terme. Posture chrétienne fondamentale, l'imitation du Christ visait à retrouver la ressemblance première à Dieu".
Madonne, Pieta, ces expressions issues du lexique chrétien ne doivent pourtant pas nous faire oublier que ces scènes se produisent en fait dans un réel et son contexte particulier, il s'agit là d'une lecture certes spontantée mais ethnocentriste de l'image.
Il y aurait quelque chose de l'ordre de la mise en scène alors.
Pascal Convert parle de ces images non pas comme citation à la peinture sacrée mais bien comme imitation de la peinture sacrée. Sans chercher le fondement d'une ressamblance à Dieu, on peut bien se demander qu'elle est cette motivation à insuffler du sacré dans une image de presse, une photographie d'histoire. Dominique Baqué continue: "...Mais comme le souligne avec pertinence Pascal Convert, cette crise (des images), assorties de ce qu'il nomme la "mutabilité esthétique" d'images polymorphes, d'images "en mercure liquide", participe peut-être plus gravement encore d'une crise du référent."
Dans les deux cas, Madonne et Pieta, un regardeur occidental ne peut manquer d'identifier la figure de la femme éplorée à celle de la Vierge, tandis que la scène construite sur le modèle du tableau religieux, en appelle doublement et de facon quelque peu perverse, à la fascination esthétique et à la compassion éthique.
Cette question de la perversité va venir se placer au centre du débat.
Pour résumer, D.Baqué taxe ces images d'un basculement de l'humanisme vers l'humanitaire, d'une imagerie de conscience politique vers une image "qui ne parvient plus à se doter d'un sens politique mais renvoie à une sorte de fatum contre lequel rien n'est possible, sinon subir, déplorer et compatir."
Ce résumé est certes insuffisant mais il est nécessaire de souligner comment la valeur même de l'image est donc discutable.

Notre regard sur les pleurs est déjà conditionné pour n'exister que sous la forme d'une représentation, pour nous protéger à la fois de nous-même et pour pouvoir se protéger de la douleur de l'autre. Le clichet des gens qui pleurent ne base pas son pouvoir sur l'inhabituel et le nouveau de la situation, mais biensurs sur les acquis de la fiction des pleurs eux-même dans nos sociétés et leurs représentations dans l'histoire. Sans passer par le sacré, l'image des pleurs est une image générique de l'être dans la violence des émotions. C'est une image interpassive car pour notre "protection", les pleureuses pleurent à notre place.
C'est une image scénique, c'est à dire visible sur scène uniquement pour ne pas subir cette violence. Cette scène peut être alors soit de fondement sacré, iconographie religieuse ou d'origine théatrale, fictionnelle dans un mythe, une allegorie.